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Interview de Zabou BREITMAN

Interview

Il y a un peu plus de dix ans, la carrière de Zabou Breitman a pris un tournant décisif : la comédienne s’est muée en réalisatrice à succès et en metteur en scène de renom. De pièce en pièce, de film en film, elle dessine les contours d’un univers singulier et passionnant.

Dans quelques mois, en octobre, vous reprendrez, à la Gaîté Montparnasse, La Compagnie des spectres, d’après le roman de Lydie Salvaire. C’est un spectacle avec lequel vous avez déjà pas mal voyagé depuis sa création en 2010…

Je l’ai déjà joué près de 80 fois dans différents théâtres: au Silvia Monfort, puis au Théâtre de Vidy-Lausanne, chez le regretté René Gonzalez qui avait déjà produit Des Gens, le spectacle que l’on avait créé à partir de films de Raymond Depardon. Plus récemment, j’ai aussi joué ce texte au Théâtre de la Commune à Aubervilliers. J’aime beaucoup l’idée que ce spectacle passe maintenant du secteur subventionné au théâtre privé: ces passerelles sont essentielles.

Au-delà de ça, il me semble que La Compagnie des spectres est un texte très important. Ce que dit Lydie Salvaire sur la conscience, personnelle et collective, est très puissant. Elle parle de la conscience, de la culture et de l’inculture, des mauvaises priorités et des mauvaises raisons. Porter ce texte, le faire entendre au plus grand nombre, est une chose qui me tient particulièrement à cœur. Et encore plus depuis que René Gonzalez nous a quittés, il y a quelques semaines.


Ce texte vous accompagne déjà depuis deux ans, comment vit-on avec un tel texte sur la longueur?

Petit à petit, il descend au cœur, comme disait Planchon. Il est là, il continue à travailler en moi, même quand je ne le joue pas. Il devient un partenaire, une partie de moi. Le fait de le reprendre régulièrement, puis de l’oublier, ou, en tout cas, de ne plus s’en servir, le rend petit à petit très familier. C’est très impressionnant de le réapprendre à chaque fois: on y découvre des choses nouvelles, on le comprend différemment.


D’autant plus que c’est aussi l’un des sujets du texte: le temps, le ressassement…

Exactement: le temps est au cœur du texte. Il porte sur trois générations et sur la façon dont les choses se transmettent au sein d’une famille. Lydie Salvaire n’est pas seulement écrivain. C’est une grande littéraire mais elle est aussi psychiatre, psychanalyste et pédopsychiatre: elle sait bien ce que c’est que la famille et les questions de transmission du bonheur ou du malheur... C’est son job quotidien.


De Lydie Salvaire, vous aviez déjà joué un autre texte: La Médaille, autour d’une remise de la Médaille du Travail dans une usine…

Bizarrement, cette pièce avait été très bien reçue en province et dans les milieux relativement populaires, mais à Paris, les gens s’étaient un peu offusqués de ce que l’on tourne en dérision le monde ouvrier, de ce qu’on en dise du mal. Alors que, bien sûr, Lydie Salvaire était précisément à l’opposé de ça: ce qu’elle condamne, par la caricature, c’est tout ce qu’on entend comme inepties, comme lieux communs et comme conneries sur le monde ouvrier. C’était une pièce très dure et très caustique, et les gens étaient parfois un peu mal à l’aise, de rire. Ceux qui en riaient le plus franchement étaient finalement ceux qui étaient les plus proches de cet univers.


Cette causticité, cette façon de provoquer le rire ou le malaise en utilisant les pires clichés, c’est un peu ce que vous faites depuis quelques mois à la radio sur France Inter?

Non, qu’est-ce que je fais à la radio?... Rien. Ce n’est pas moi. C’est Margaret de Beaulieu! Qui est une salope!... Tout ça joue évidemment autour de la caricature du café du commerce… Il y a cet aspect-là chez Lydie Salvaire, mais il y a toujours beaucoup d’humanité chez elle. Même chez les monstres dont la bêtise et l’immoralité sont très humaines.
 

Est-ce, justement, parce qu’il aborde ces questions à la fois politiques et humaines qu’un texte comme celui-ci vous touche ?

Certainement. Ça ne peut pas être autre chose qu’humain s’il s’agit de politique, au bon sens du terme. Je suis attirée par les choses qui  touchent au cœur. Si c’est simplement pour m’adresser à l’intellect, ça ne m’intéresse pas. Mais là, ce qui m’a séduite, c’est aussi la liberté et la dinguerie joyeuses de l’écriture de Lydie Salvaire. Mon envie d’adapter ce texte vient justement de cette écriture très singulière, sans ponctuation, passant sans prévenir du style direct au style indirect… c’est un texte tout en ruptures qui appelle presque d’emblée une mise en scène.


Comment les choses se construisent-elles quand on est, comme ici, à la fois metteur en scène et seule interprète ?

Les choses se mettent en place un peu à tâtons. Le regard de mon assistante a été essentiel. Celui de mon décorateur, Jean-Marc Stehlé, aussi. Ça se passe de façon très légère, très douce, mais j’avoue que, en l’occurrence, la présence d’un directeur d’acteurs m’a un peu manqué. J’ai mis très longtemps à trouver le chemin dans ce texte très dense. Il m’a fallu presque quarante représentations avant de m’épanouir complètement dans ce spectacle, de m’y sentir vraiment à l’aise. Au début, j’étais très fragile dans ce rôle. C’est aussi là que la notion de temps est importante, dans la construction des choses.


Qu’est-ce qui a rendu ce chemin si complexe ?

Un ensemble de choses. Mais surtout le fait de se retrouver seule. Je sais maintenant que, si je dois refaire un spectacle seule en scène, il me faudra quelqu’un pour me diriger du début à la fin. Sinon, c’est trop dur. Je suis passée par des moments de grand désarroi. C’est un texte extrêmement travaillé dont il faut faire en sorte qu’il ait l’air facile, inventé, léger: pour ça, il faut que les fondations soient en béton. Parfois, je sentais que c’était un peu vacillant.
 

Quand on regarde votre parcours au théâtre depuis que vous y avez abordé la mise en scène, on est assez frappé par la continuité thématique entre La Compagnie des spectres et L’Hiver sous la table, par exemple: tous les enjeux autour de l’identité, la mémoire…

C’est vrai! Les questions d’identité et de mémoire me préoccupent beaucoup. On les retrouve aussi dans mes films, même dans mes adaptations. Je l’aimais portait véritablement sur la mémoire d’un amour, tout le dispositif reposait sur cette question. Même No et moi, qui est un film sociétal autour d’une adolescente, parlait de la mémoire: l’adolescence est une mémoire en construction, c’est un moment charnière où l’identité se forme. 
 
 
 
 
 

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