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Benoit Solès : La Machine de Turing, “une ode à la tolérance”.

Interview

La Machine de Turing, de Benoit Solès, mise en scène par Tristan Petitgirard, atteindra bientôt sa 500ème représentation au Théâtre Michel. Pour fêter ça, nous sommes allés à la rencontre de Benoit Solès, pour parler d’Alan Turing, de sa pièce et de ses futurs projets.

Benoit Soles

Qui est Alan Turing, personnage principal de la pièce ? 

 

Benoit Solès : Alan Turing était un mathématicien anglais qui cherchait à comprendre tout ce qui l’entoure et à répondre aux questions auxquelles on ne trouve pas nécessairement de réponses. Alan Turing était quelqu’un de foncièrement curieux, un réel observateur qui essayait de comprendre le monde et la nature, en s’intéressant aux chiffres, aux plantes, etc. 

 

On sait qu’il était bègue, probablement autiste Asperger et homosexuel. Il se retrouve embrigadé dans une espèce de “colonie de vacances pour génies” qui s’appelle “Bletchley Park” au début de la 2de Guerre Mondiale pour une mission : celle de casser le code secret des nazis (celui qu’ils utilisaient pour encoder la position des sous-marins). 

 

Évidemment, si on parle de lui, c’est qu’il y est arrivé, en construisant une machine mécanique avec des boulons et des écrous. En fin de compte, il réalise une espèce de super calculateur. Cela fait, il poursuit la fabrication de sa « machine programmable », l’ancêtre de l’ordinateur. 

La machine de Turing

De quoi vous êtes-vous inspiré pour construire le personnage d’Alan Turing ? 

 

B. S. : S’intéresser à un personnage comme Alan Turing, c’est s’intéresser à un personnage, certes, méconnu, à qui on va essayer de rendre hommage, mais à un personnage qui a existé. Il y avait donc des archives et des éléments biographiques sur lui, comme l'œuvre d’Andrew Hodges, “L'énigme de l'intelligence”.

 

Il y a eu aussi beaucoup d’articles de presse, d’émissions de radio et une première pièce anglaise, datant de 1986, qui s’appelle “Breaking the code”, dont l’auteur, Hugh Whitemore, avait échangé des informations avec Hodges, notamment sur la partie procès de Turing. 

 

Je me suis inspiré de tous ces éléments pour écrire ma pièce. Mais entre-temps, en 2013-2014, Alan Turing a été réhabilité. J’ai donc pu, dans les archives désormais déclassées, vérifier et confirmer tout ce qui avait été dit. J’avais des informations concordantes sur Turing, mais aussi des manques : il n’y a pas d’enregistrements, ni de vidéos de lui. On ne peut pas mesurer l’ampleur de son bégaiement par exemple. Certains disent qu’il était très bègue, d’autres affirment qu’il ne l’était pas tant que ça. Ayant rencontré moi-même des personnes bègues, ils bégaient sous le coup d’une grande émotion. On peut donc penser que quelqu’un qui a vu un Turing à l’aise dans le travail, ne l’a pas forcément trouvé étrange. Alors que d’autres l’ont vu très étrange, avec un rire criant et curieux, en faisant des jeux de mots dignes d’un enfant de 6 ans. 

 

Il ne ressemblait pas, disait-on, à un professeur d’université. Il se baladait en pyjama et portait un masque à gaz pour faire du vélo et se protéger du rhume des foins. On a affaire à un original, certes, mais à un original génial : un "originial" ! 


On sait que Oscar Wilde a vécu le même sort que Alan Turing, puisqu’il a, lui aussi, été condamné pour son homosexualité. En 1937, OSCAR WILDE, pièce de Leslie et Sewell Stokes, qui à l’époque fait triomphe à Londres depuis plusieurs mois, s’installera rue des Mathurins, au Théâtre Michel. La pièce sera jouée en anglais, totalisant un nombre impressionnant de 247 représentations. Aujourd’hui c’est l’histoire de Turing.  

 

Pensez-vous qu’il est important de parler de ces sujets d’histoire, de ces hommes, de ces exploits, de ces procès, au théâtre ? Est ce qu’on ne parlerait pas de devoir de mémoire ? 


B. S. : Dans La Machine de Turing, on fait allusion à Oscar Wilde. Et pour cause, la loi de 1885 sur ce qui était considéré comme un crime sexuel : l’homosexualité, est la même qui va condamner Oscar Wilde et Alan Turing. Au-delà du fait qu’ils aient été condamnés par la même loi, on observe une similitude des parcours : Wilde comme Turing, sont à l’origine du dépôt de plainte. 

En revendiquant une forme de liberté d’expression, en revendiquant leur nature devant le juge, ils sont ceux qui ont mis le doigt dans l’engrenage, en assumant toutes les conséquences. 

 

Il y a dans la pièce une volonté pédagogique de raconter la vie de Turing, une volonté de nous apprendre comment ce moment clé de la seconde Guerre Mondiale a tourné, comment l’origine de l’informatique est née, et de savoir quelle était la vie des homosexuels à l’époque. La pièce a donc un côté presque militant, qui nous invite à réfléchir sur la différence, et comment certaines personnes traitaient, ou traitent encore, toute forme de différence par le rejet. En plus d’être différent, Alan Turing était brillant. Il disait des choses qui à l’époque paraissaient incroyables : qu’une machine puisse penser, être programmée et avoir des émotions. Non seulement on disait de lui qu’il était fou mais aussi qu’il était dangereux. 

 

Je pense que le théâtre a plein de missions. Celle de divertir de manière légère, celle de divertir avec plus de profondeur, celle de nous questionner, ... J’ai tenté modestement de montrer tout ça en même temps : le côté sympathique et drôle du personnage et le devoir de mémoire de la pièce.

Aujourd’hui, beaucoup de jeunes viennent voir le spectacle et le texte est désormais étudié dans les lycées et dans les cours de théâtre. Il y a, au-delà de l’hommage à Turing, une ode à la tolérance. 


La Machine de Turing au Théâtre Michel a été distinguée 4 fois lors de la cérémonie des Molières en 2019 : le Molière du Théâtre privé, le Molière du Comédien dans un spectacle de Théâtre Privé (Benoit Solès), le Molière de l’Auteur francophone vivant (Benoit Solès) et le Molière du Metteur en scène d’un spectacle de Théâtre privé (Tristan Petitgirard). 

Molières 2019 La machine de Turing

Qu’est ce que ces Molières représentent ? 

 

B. S. : Ce qui est très touchant, c’est que la récompense vienne de la profession. Les gens ont trouvé que ce spectacle avait du sens, qu’il était bien fait, populaire mais de qualité. Et je crois qu’ils ont voulu aussi récompenser une équipe qui travaille depuis des années, sans stars, avec une forme d’exigence mais aussi d’artisanat.

Ce qui est merveilleux c’est que ces Molières sont un véritable passeport pour que la pièce puisse voyager. Pour le public, c’est un label de qualité.



C’est quoi la suite pour Benoit Solès ? D’autres projets ? D’autres écritures ? 

 

B. S. : La Machine de Turing, c’est une aventure qui entame sa 3ème saison au Théâtre Michel, et sa seconde année en tournée. On va encore tourner Turing toute l’année 2021 et faire le festival d’Avignon s’il a lieu.

 

Mais j’ai tout de même écrit une nouvelle pièce : elle parle de l’imaginaire et de la création. Ce n’est plus dans le domaine scientifique mais dans le domaine littéraire, puisqu’elle s’attache à Jack London, écrivain américain. La pièce raconte les circonstances de l’écriture de son dernier roman, qui parle du système carcéral, des conditions de détention des prisonniers en Californie, au début du XXème siècle. 

 

C’est un roman qui, outre le fait qu’il soit le dernier de London, va complètement changer le système. La pièce parle de combats, mais aussi d’amour et d’un couple dans la difficulté, mais dans lequel la femme, un personnage extraodrinaire, que va jouer Anne Plantey, soutient son homme, interprété par Grégori Baquet. Pour ma part, je jouerai le prisonnier. Cette pièce sera mise en scène par Tristan Petitgirard et on démarrera la tournée de ce spectacle en 2022 ! 

 

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